La pause séparant Pro Xristoy de The Heretics (qui remonte à 2018) a été plus longue que d'habitude pour Rotting Christ, qui nous offrait cependant de quoi patienter avec la collection de raretés et B-Sides The Apocryphal Spell en 2023. Faut-il voir derrière cette absence une remise en question en profondeur du son du groupe grec, voire un regard tenté vers son passé ?
Eh bien, pas du tout. Blâmons plutôt une pandémie mais aussi l'hyperactivité du chanteur Sakis Tolis, impliqué dans divers side-projects dont un solo en son nom. Inutile de faire durer le suspense : ce nouvel album de Rotting Christ reprend tous les éléments typiques du groupe et est dans la lignée de ses productions des dix ou quinze dernières années. Une approche mélodique, un chanteur qui se fait souvent narrateur, des sons de batailles pour la dimension épique, des chœurs de moines pour le décorum gothique, des rythmiques martiales : certes, le groupe vient du metal extrême mais avec son accessibilité et son brassage reste peut-être une des meilleures portes d'entrée vers le genre.
Une tendance, assez vite, se dessine : Tolis, en conteur menaçant, s'efface régulièrement (laissant notamment à Andrew Liles et Kim Diaz Holm le soin de poser quelques mots sur The Apostate, Pretty World, Pretty Dies et Ygdrassil) et confie aux guitares et chœurs la responsabilité de mener le voyage, portant des morceaux tous construits comme autant d'hymnes fédérateurs, avec leurs envolées conquérantes et leurs cris de ralliements. Surtout, Rotting Christ semble dans la retenue : eux qui ont, au fil de leurs ères, été bien plus énervés semblent ici apaisés, optant plus pour le rôle du vieux sage, prêtre ou philosophe, que du guerrier. Il y a là de quoi être un peu déçu à la première écoute pour ceux qui espéraient être plongés dans la fureur du combat : Rotting Christ s'élève, prend de la distance et, en nous maintenant dans un mid-tempo hypnotique, donne à son ensemble un côté liturgique qui sert le propos et, sur la durée, fascine.
Pro Xristoy enchaînes les titres au rythme lourd, lent, sans vraiment qu'un "tube" ne s'en distingue. Il en résulte un sentiment de contemplation que l'on n'attendait pas, malgré une introduction avec un morceau-titre tout en lourdeur sentencieuse et l'intensité de quelques passages plus hargneux (La Lettera Del Diavolo et ses fulgurances plus incisives, plus black metal, ou The Farewell, à la pesante noirceur plus prononcée). Rotting Christ est plus mystique que jamais et, en rendant hommage aux derniers rois païens ayant résisté au christianisme, nous plonge dans un monde ancien mais également cosmopolite (on passe de la Grèce à la Scandinavie, en passant par l'Italie), matérialisé toujours par les emprunts plus ou moins discrets aux musiques traditionnelles, des touches folk qui viennent étoffer le son pour lui donner toute son ampleur et évoquer des rituels antérieurs au christianisme. Pix Lax Dax est peut-être le morceau le plus représentatif et marquant de ce nouvel album : instruments et narration venus d'un autre temps, chœurs théâtraux, mélodie immédiatement contagieuse imposée par la guitare, nuances en clair-obscur et grandiloquence cinématographique... Rotting Christ a beau ralentir le rythme, ils nous en mettent toujours plein les oreilles.
Prolongation plus méditative de Ritual et The Heretics, Pro Xristoy semble avoir hérité des side-projects de Sakis Tolis. On évite ainsi le simple copier-coller car, aussi étrange que cela puisse sembler, Rotting Christ y est plus solaire qu'à l'accoutumée, moins gothique mais aussi plus rassembleur que jamais. Il y aura forcément là de quoi frustrer ceux qui espéraient un son plus mordant mais, alors que les incantations d'Ygdrassil et sa rage viscérale ou les exhortations belliqueuses de Saoirse concluent l'épopée, force est de reconnaître que Rotting Christ maîtrise absolument son propos et réussit à nous captiver avec son voyage dans le temps, plus contemplatif mais pas moins saisissant.