Sang Froid est né en hiver : ce sont les premiers mots de leur présentation dans le dossier de presse. Ils sont déjà suffisants. La nuit, le froid, la grisaille sont inséparables de la bande, où l'on retrouve TC et JJS du groupe de black metal Regarde Les Hommes Tomber et Ben Notox de The Veil et ses influences darkwave et metal. Après un premier EP éponyme paru il y a deux ans, les Nantais nous proposent enfin un premier format long pour accompagner le spleen automnal et les errances nocturnes à venir.
Dès les premières secondes de Proudly Ruining Yourself, on se souvient que parmi les raisons pour lesquelles Sang Froid avait su nous séduire, il y avait cette façon de mettre l'électronique en avant, ces plages de synthés hallucinées qui faisaient partir les compositions vers de nouvelles dimensions. Ici, la rythmique est entraînante et les mélodies simples à assimiler sont assombries par des guitares lourdes et un chant mélancolique, bien sûr d'une profondeur sinistre. A nouveau, on sent dans la construction des morceaux l'ADN des musiciens et leur envie d'enrichir au fur et à mesure les gimmicks qu'ils s'approprient, d'étoffer le minimalisme glacial, de faire évoluer les compositions pour les plonger dans la pénombre ou au contraire les élever vers la froide lumière des réverbères. Ainsi, par exemple, la tonalité funèbre des guitares de Grace & Doom mute, alors que le rythme s'accélère, en un solo conquérant accompagné d'un sound-design spatial pour un final retro-futuriste empli de terreur cosmique et la sidération qui va avec.
Malgré ses humeurs sépulcrales, Sang Froid n'en oublie pas pour autant de faire danser. On peut dire qu'ils boostent le souvenir des Sisters of Mercy à grands renforts de machines actuelles, ou bien qu'ils perdent Depeche Mode dans les méandres de leurs guitares torturées, à vous de choisir. On retient tout spécialement Eternal Night et ses élans nostalgiques doux-amer et The Eleventh Dawn et ce final en apesanteur qui lorgne du côté de la synthwave - JJS est aussi aux commandes du projet Ultra Balance. De synthwave, il est de nouveau (un peu) question quand, dans sa dernière partie, ALL-NIGHTER plonge dans une pénombre plus opaque avec le clavier de Nightline qui finissent par évoquer le Lustful Sacraments de Perturbator, où les néons cyberpunk s'éteignent pour laisser place à une amertume urbaine et gothique. Inquisitive Nature aurait très bien pu prendre une direction plus doom, avec sa lourdeur sinistre à la Tryptikon sublimée par un piano spectral et un final qui sonne comme une condamnation: chez Sang Froid, après la nuit, point de soleil, juste de la nuit, encore et encore, toujours plus noire.
Il semble y avoir un regain d'intérêt pour la coldwave en France avec plusieurs artistes qui, chacun à leur façon, dépoussièrent la coldwave en France, de Hangman's Chair à BLVL, de Perturbator à JE T'AIME, y apportant leurs backgrounds respectifs et des sensibilités plus modernes, entre citations et expérimentations et toujours ce parfum nocturne de néons blafards qui éclairent à peine des allées sombres pleines d'espoirs et de dangers. Sang Froid apporte sa voix au chapitre, entre classicisme gothique et tentations avant-gardistes. ALL-NIGHTER est un premier album plein de sombres promesses, celles des nuits d'errance en ville, pleines d'amertume et de mélancolie mais aussi de frissons exaltants. C'est un disque à la fois romantique et froid, un disque pour célébrer la tristesse, la solitude, la pluie et la loose... Surtout, les musiciens de Sang Froid y font preuve de la même audace que dans leurs autres projets, refusant d'obéir servilement aux codes d'un genre. Ils y dépoussièrent l'hommage pour proposer leur vision, entre élévation cosmique et guitares venues des abysses. C'est incisif et diablement élégant en plus d'être à la fois familier et dépaysant. Vous vous sentez déprimé à la venue de la grisaille et de l'hiver ? Eh bien, dansez maintenant.