Né fin 2020 sous l'impulsion du bassiste et compositeur principal Adam Dsx (Dxvxdxd Sxlf, Latx), Sans Roi se présente comme un projet de black metal gnostique, ce qui implique à la fois un goût pour la philosophie, le mystique... et les mots compliqués ! L'artwork de ce premier album, L'Esprit & la Matière, le confirme : Sans Roi, avec son univers classieux et la profondeur de son propos, intrigue et donne envie de creuser, d'autant plus qu'une trilogie est déjà annoncée, la Trilogie des Mystères avec pour influences notamment l'alchimie, le chamanisme, le tarot et Jung.
Disciple of the Roots donne le ton de cet univers singulier : des riffs mordants, un chant mis en avant, le choix d'une production claire, propre, qui sait mettre en valeur la richesse d'un son qui en fait beaucoup sans pour autant empiler les couches. Sans Roi est conscient de ses racines rock'n'roll et les guitares y ont toute leur importance, que ce soit pour imposer leur groove (No Turning Back, conquérante et entraînante), instaurer un climat de mystère (l'intro de L'Esprit & la Matière, Où la Folie S'Exprime), imposer une respiration mélancolique (Push the Reset Button) ou, de manière générale, suggérer l'hypnose et la transe (L'Hypostase des Archontes - on avait prévenu pour les mots compliqués - superbe conclusion intense et trépidante comme le serait un film grâce à son rythme, ses rires un brin flippants et son solo à mi-chemin qui installe un suspense quasi narratif). Loin d'être relégué au rang de machines à riffs ou de brouillard atmosphérique, elles assument ici leurs influences 70's pour créer des mélodies parfois théâtrales, psychédéliques ou aux connotations sacrées, plaçant Sans Roi aux côtés de Tribulation. On se surprend, à l'écoute, à imaginer tout cela accompagné d'un orgue, tiens, pour le baroque : c'est que cette musique évoque aussi bien le spirituel que les couleurs vives des vitraux.
Fuyant les rives d'un black metal atmosphérique minimaliste et contemplatif, Sans Roi impose néanmoins des ambiances sombres et fascinantes grâce à une touche gothique omniprésente, un truc à la Moonspell, à la fois érudit et accrocheur. On apprécie tout particulièrement cette approche frontale, décomplexée : Sans Roi ne s'abrite pas derrière une quelconque posture comme le font certains pour compenser leurs lacunes techniques, Sans Roi ne cherche pas à copier tel ou tel autre projet mais embrasse pleinement aussi bien sa quête philosophique et ésotérique que son approche mélodique. On y trouve ce qu'il faut de soli venus d'une autre décennie et de samples explicitant le propos de Pacôme Thiellement, auteur en 2017 de La Victoire des Sans Roi. Révolution gnostique (le petit détective qui sommeille en vous voit peut-être un lien avec le groupe) : Sans Roi n'a peur ni d'être un tantinet hermétique, ni d'être épique. Le plus important, dans tout ça, c'est qu'on s'y éclate. On s'y éclate grâce au fond, cette quête initiatique d'éveil mystique, grâce aux références littéraires (on y cite aussi bien les Évangiles gnostiques que Carlos Castaneda, auteur initié au chamanisme, ou Serge Gainsbourg le temps d'une reprise en anglais de Je Suis Venu te Dire que je m'en Vais en conclusion de Push the Reset Button)... mais on s'y éclate aussi grâce à la musique, puissante, entêtante, intrigante.
Sans Roi dit déjà travailler à la suite de L'Esprit & la Matière. Tant mieux, mais rien ne presse : ce premier album mérite non seulement d'être entendu mais aussi que l'on prenne le temps de s'y perdre. Aussi viscéralement jouissif qu'intellectuellement stimulant, Sans Roi est une proposition atypique riche, passionnante et, le plus important, aux ténèbres bien trop groovy pour que l'on y résiste.