Chronique | Selofan - Animal Mentality

Tanz Mitth'Laibach 28 juin 2024

On est facilement emballé par un nouvel album de Selofan. Depuis 2012, le duo athénien nous a marqués par son style froid et théâtral empruntant aux musiques gothiques comme à l'EBM, ses clips à l'imagerie travaillée et sa fixation sur les relations destructrices. Paru en avril de cette année, Animal Mentality est son septième album, avec lequel le groupe se propose d'explorer différentes facettes de l'émotion et de l'expérience humaine, du désir aux souffrances de l'isolement -on est dans ses thématiques habituelles !

Animal Mentality nous surprend en revanche rapidement par ses tempos et ses sonorités. Après l'album précédent Partners in Hell, très neurasthénique et anxiogène (chronique), Animal Mentality renoue avec des tempos plus rapides, mais pas de la façon dont on s'y attendait : la violence et la lourdeur ne sont le plus souvent pas au rendez-vous, la boîte à rythme frappe vite et légèrement. Les nappes de synthétiseur, quant à elles, sont moins froides que d'ordinaire chez Selofan, évoquant des musiques plus lumineuses des années 70-80, on pense quelquefois à Jean-Michel Jarre, d'autres à Depeche Mode. On retrouve en revanche, suivant les morceaux, le lyrisme désespéré du chant de Joanna ou la tristesse douce-amère de celui de Dimitris, sur des paroles le plus souvent en anglais, à l'exception de Glassplitter et Ignorans où l'allemand prend le relai -comme sur l'album précédent, il n'y a pas de morceau en grec pour cette fois. On retrouve également cette répétitivité oppressante empruntée à l'industriel, les quelques sonorités bruitistes alternant avec la pesanteur de la basse. Cet étonnant mélange fait ressembler plus que jamais Selofan à un groupe des années 80, s'inscrivant à la confluence de toute la new wave !

On regrette un peu la théâtralité exacerbée des deux précédents albums, qui a tendance à être un peu noyée sous des nappes de synthétiseur plus claires ici, néanmoins Animal Mentality se fait rapidement aimer grâce à d'excellents morceaux. On adhère immédiatement au premier d'entre eux, Sticky Fingers, magnifiquement froid et déchiré, avec sa boucle électronique entêtante et ses paroles sur la mort qui frappe brusquement au milieu d'une journée magnifique ; le très beau clip, tourné en une seule journée dans les montagnes enneigées au-dessus d'Athènes, est à la hauteur de la musique. Dans un autre registre, on s'attache beaucoup au très gothique Sacrifice Me, dont les paroles aussi bien que la basse déprimante suintent le mal-être, le sentiment d'être brisé et inutile vis-à-vis d'autrui -on pense au duo ami Lebanon Hanover. Que les amateurs de morceaux dansants et de sonorités EBM se rassurent toutefois : même si ce n'est pas la teinte dominante de l'album, on est servis aussi sur ce plan avec Love's Secret Game, dont le rythme binaire traduit la mécanique irrésistible du désir sexuel, et Bluebirds, dont le tempo plus lent et les sons plus rugueux expriment l'abandon. Notons enfin que Lucille, si ce n'est pas la chanson la plus marquante de l'album, a elle aussi fait l'objet d'un clip fabuleux, dans la plus pure sensibilité expressionniste de Selofan ! Seules des nappes de synthétiseur un tantinet excessives nous font grincer des dents sur Glassplitter, qui expose la dépendance malsaine à une personnalité inquiétante. Ignorans sur l'enfermement de l'incompréhension réciproque entre les êtres et la renaissance pleine d'espoir de Behind My Eyelids témoignent aux aussi de la maîtrise habituelle du groupe.

Animal Mentality est donc un album qui tient ses promesses ; il nous aura fait explorer bien des émotions, bonnes et mauvaises, au fil de la créativité, de la force et de la sensibilité qui font le talent de Selofan.