Plus froid que SHE PAST AWAY, plus martial que LEBANON HANOVER, le duo grec SELOFAN forme avec eux ce triumvirat de jeunes groupes des labels Fabrika Records (pour les vinyles) et Dead Scarlet (pour les CD) qui fait souffler un agréable vent de fraîcheur sur la darkwave ; tout aussi intéressant que ses acolytes, SELOFAN est aussi le plus industriel des trois, comme en attestent ses albums expérimentant aux frontières de l'EBM depuis 2013. Avec Vitrioli, le groupe nous fournit cette année son cinquième album, l'occasion de voir ce que devient la prometteuse formation hellénique !
Et indéniablement, c'est l'album d'un groupe qui a mûri. D'un excellent groupe qui en plus a mûri.
On savait dès son premier album SELOFAN capable de produire des morceaux industriels blasés et déphasés tels que Love Is A Mental Suicide ; cependant, il y a plus cette fois. En effet, Vitrioli frappe d'abord par sa cohésion : d'un bout à l'autre du disque, nous sommes pris dans le même univers inquiétant, comme prisonniers d'un cauchemar qui refuse de nous lâcher. Les sonorités électroniques et industrielles glaciales des synthétiseurs, accompagnées d'une basse monotone en arrière-plan, sont ici mises en mouvement par une boîte à rythmes martiale et répétitive, donnant à la musique un aspect obsédant. Dans ce monde à mi-chemin entre les rythmes violents de DAF et le minimalisme réfrigérant des regrettés LINEA ASPERA prend place le chant de Joanna Badtrip, déformé par la mélancolie, l'avidité ou la fascination, tour à tour las ou passionné ; il y a dans ce chant quelque chose d'intensément théâtral, de surjoué, de déclamatoire, comme si Joanna devait tordre sa voix pour faire entendre ce qu'elle ressent dans cet univers musical d'acier où elle semble perdue. Vitrioli, plus encore que ses prédécesseurs, apparaît ainsi comme le mariage audacieux de la froideur déshumanisée de la musique industrielle avec une théâtralité héritée du gothique ; SELOFAN en tire un bel album, un univers étrange et inquiétant digne de films comme le Cabinet du docteur Caligari, on y pense d'autant plus que les clips du groupe doivent manifestement beaucoup à l'imagerie du cinéma expressionniste.
Ajoutons à cela que l'album est uni non seulement par ses ambiances mais aussi par sa qualité : pas un seul morceau n'apparaît comme de trop -bien qu'il compte douze titres, l'album ne dure que quarante minutes. On peut tout de même saluer en particulier Give Me A Reason, morceau mélancolique qui ouvre l'album en nous donnant un sentiment d'irrémédiable perdition, Billie Was A Vampire pour la fascination morbide du chant de Joanna, qui a quelquefois des airs de SARA NOXX, et surtout la trilogie consacrée à l'amour au milieu de l'album, faite d'un Ist Die Liebe Tot ? grave et rythmé, violemment désespéré, du glacialement doux Un Amor Etterno et du nostalgique The Language of Love. À partir de Living Scandal, l'album se fait plus calme, plus mélancolique aussi, on s'y laisse glisser avec plaisir jusqu'à ce que le dernier morceau Υστερια nous réveille, tout en rythme et en industriel, la voix de Dimitris remplaçant pour une fois celle de Joanna.
SELOFAN frappe donc très fort avec cet album, son plus achevé à ce jour, où la musique industrielle se déforme pour créer un univers étrange et lugubre sous l'influence du gothique et sans doute, d'une autre façon, de l'expressionnisme -l'un et l'autre ne vont-ils pas parfaitement ensemble ? Alors, si SELOFAN a été jusqu'ici plus discret que ses confrères de Fabrika Records, bien que reconnaissable à son nom désopilant (car oui, il s'agit bien du grec pour "cellophane" !), sachez que Vitrioli rend urgent de s'y mettre.