Il y a quatre ans, Shaârghot confirmait avec un second album toutes les bonnes choses que l'on pensait du groupe de metal industriel. La bête grandissait, encore, toujours, irrésistible. Alors que les contours d'un troisième album se dessinent à l'horizon et que, croyez-en notre parole, jamais Shaârghot n'a aussi bien sonné et s'apprête à encore sacrément gagner en ampleur (on prend les paris), il est temps de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. Un EP de remixes mentionné par son créateur depuis deux ans arrive pour tourner la page de Vol. II : The Advent of Shadows.
Les remixes, c'est souvent délicat, tous n'ont pas une identité forte ou un intérêt particulier et donnent parfois l'impression d'un travail vite exécuté par un artiste renommé à des fins plus publicitaires qu'artistiques. Le casting, cependant, fait ici saliver : en bons camarades passionnés, Shaârghot a été chercher des artistes de la scène industrielle française dont ils ont croisé la route ces dernières années, des collègues, des copains, une petite famille talentueuse et monstrueuse réunie le temps de cet EP. Oui, mais des groupes d'indus qui remixent de l'indus, finalement, c'est aussi prendre le risque de versions alternatives qui ne se démarquent pas tant que ça...
Tu parles, Shaârles. D'emblée, les deux merveilleuses sorcières de Machinalis Tarantulae nous offrent une incroyable version de Z//B, plus proche de la reprise où leur univers baroque, mystique, poétique et froid vampirise totalement le monde cyberpunk de Shaârghot. De nouvelles voix qui virent à l'incantation, cette viole de gambe typique du projet et leurs percussions transforment le morceau d'origine en rite incantatoire mélancolique. Imaginez un split album avec ces gens-là : on peut rêver, mais ça serait incroyable ! Tout aussi captivant, le remix de Doomsday par Sonic Area apporte une subtilité nouvelle : Arco Trauma est un orfèvre exceptionnel capable avec finalement peu d'effets de manche d'apporter une profondeur et une richesse rare. De la retenue, des mélodies obsessionnelles hypnotiques et un parfum apocalyptique toujours bien présent... On reconnaît parfois le Sonic Area de l'époque Music for Ghosts, gothique et théâtral. Ce remix est d'autant plus intéressant qu'Arco étant impliqué dans le prochain album de Shaârghot, il n'est pas interdit d'y supposer quelques pistes concernant le son futur de ce Volume III.
Si les deux remixes précédemment cités sont les plus étonnants et intéressants car ils prennent à contre-pied la musique de Shaârghot et en désamorcent la violence pour en sublimer le potentiel atmosphérique tout en surprenant l'auditeur, la suite ne démérite pas non plus. Imaginez un disque de Shaârghot dont on ne parlerait qu'en disant "ah ouais, franchement, super intéressant, c'est subtil et tout, y'a des instruments de la Renaissance"... Malgré nos tendances déviantes, on le sait : Shaârghot, ça doit envoyer. Il faut que ça racle, il faut que ça tâche. Comptez donc sur Horskh pour nous pondre une version clubbing / cyberpunk de Break Your Body et Radium de Micropoint pour ajouter un boum-boum techno hardcore frénétique à Kill Your God pendant que Moaan Exis s'empare de Now Die pour y apporter la tension tribale de ses beats techno (et mettre en valeur cette drôle d'hallucination auditive "t'es moche ! t'es moche !"). Si l'on est moins surpris par ces trois remixes (des amateurs de son qui tabassent remixent des morceaux qui tabassent pour en faire des trucs qui tabassent), on a le plaisir d'encore y reconnaître la patte de leurs auteurs, leurs univers personnels se greffant avec naturel à celui de Shaârghot pour nous offrir la dose indispensable de suées et de parpaings.
Ces cinq titres réalisés entre personnes fréquentant finalement les mêmes recoins ont bien plus d'âme et de personnalité(s) qu'un bête enchaînement de remixes impersonnels où quelques grands noms y font le minimum syndical pour que leur nom attire l'attention sur une tracklist. Cette petite collection de remixes est un cadeau que l'on accepte avec plaisir. On ressort de l'expérience enthousiasmé par le résultat : on y a reconnu des artistes choisis avec pertinence sur des critères artistiques plutôt que marketing et qui ont su s'approprier l'univers dystopique de Shaârghot pour satisfaire nos instincts les plus primitifs mais aussi exciter notre imagination en ouvrant de nouvelles voies à toute cette folie.