Chronique | Sieben - Brand New Dark Age

Pierre Sopor 21 août 2024

On accueille chaque année paire avec une délicieuse certitude : celle d'avoir droit à un nouvel album de Sieben. 2024 n'y coupera pas : Brand New Dark Age succède à Ten Hymns for Modern Times avec, à son tour, dix nouvelles dissections de notre monde, charcuté par le violon électrique acéré (il porte un nom : Kev) et l'ironie cinglante de Matt Howden, barde au mordant et à la poésie toujours aussi jubilatoire.

Un nouvel âge sombre, donc ? Nous voilà revenus aux débuts du Moyen-Âge, mais en plus moderne. On garde l'obscurantisme mais on y ajoute la technologie : voilà peut-être l'explication, la justification voire l'excuse de cet artwork qui nous plonge dans un style visuel très Windows 3.1 ! Côté musique, Sieben approfondit les pistes explorées depuis 2020 Vision et "l'arrivée" de Kev : nous trouvions avec Ten Hymns for Modern Times, que Sieben n'avait jamais sonné aussi lourd et électronique. Cette sensation se confirme avec la pesanteur de Fuzzageddon, entrée en matière à la froideur industrielle menaçante. Clinique, Sieben tranche et dissèque. Howden, narrateur, déclame. Kev, lui, chante et se lamente mais se fait également plus grinçant. Des élans bruitistes oppressants jaillissent alors que l'instrument justifie pleinement son rang de "second membre" de Sieben tant il semble avoir inspiré Howden ces dernières années.

Le poète-druide Howden approfondit, certes, mais surtout expérimente. Suivre Sieben au fil des ans est comme une observation en temps réel des essais de l'artiste, alchimiste jouant avec sa matière, la tordant pour en extraire des bizarreries dans un mouvement ludique, à l'image de morceaux qui prennent forme boucles après boucles. Le mystère a laissé place à une forme de rage que l'on devine dans les dissonances, dans l'ironie, dans l'intensité d'Ads 4U et sa frénésie consumériste, par exemple, ou encore dans les éclats de Snow Burial. Si les mélodies mènent moins la danse qu'auparavant dans Sieben (les rythmiques ne manquent pas d'entrain, prenez donc Feel the Fever ou Artificial Intelligent), cela n'empêche pas la mélancolie de s'exprimer soudain avec une beauté toujours intacte (What do I Know et, de nouveau, cette froideur industrielle qui se mélange à un groove crépusculaire).

Sieben continue sur sa lancée. En plus de la beauté saisissante de sa musique et de ses assauts contre les bêtises de notre monde qu'il ne déguise plus depuis longtemps derrière des métaphores poétiques, on est également fascinés par l'impression de voir la musique de Howden muter sous nos yeux, sous les coups de scalpel de ce ménestrel et savant fou qui fait de Sieben un laboratoire en perpétuel évolution. Derrière la continuité (Brand New Dark Age suit la forme de ses prédécesseurs, jusqu'à proposer de nouveau des versions live de chaque titre), le projet de Matt Howden est également un monstre mutant aux difformités toujours si séduisantes.