Matt Howden est intenable et la flamme de sa créativité toujours aussi vivace. On l'avait laissé avec The Old Magic, sublime album s'inspirant d'une Grande-Bretagne fantasmée à l'époque pré-Romaine où la magie et les rythmiques incantatoires dissimulaient un regard toujours aussi acéré sur notre société contemporaine, on le retrouve avec un disque ouvertement critique, politique et rentre-dedans. La figure de Guy Fawkes a remplacé celle du druide, Howden étant manifestement plus d'humeur à mettre le feu.
Crumbs favorise les morceaux plus courts et directs là où son prédécesseur laissait le temps aux différentes boucles d'instaurer une ambiance envoûtante. Matt Howden a l'habitude de travailler seul sur SIEBEN : armé de sa pédale de boucle et de son violon dont il martyrise les cordes et martèle le corps, il assure aussi bien le chant, la mélodie et le rythme de ses morceaux. Crumbs est pourtant l'album des chamboulements, puisque l'artiste anglais s'entoure occasionnellement d'autres musiciens : on peut donc y entendre ici ou là de la batterie et des voix supplémentaires. La version collector de l'album contient d'ailleurs deux versions alternatives des titres Here is the News et Coldbloods, avec carrément de la basse et de la guitare !
Ces nouveautés ne sont pas anodines. Howden a souvent exprimé avec colère son point de vue sur le monde via sa musique et le récent Brexit lui reste en travers de la gorge. Crumbs est un album plein de colère, d'ironie et de rébellion et force est d'admettre qu'une vraie batterie apporte une énergie punk assez viscérale. C'est flagrant sur Sell Your Future, appel explicite à la révolte. Mais les humeurs évoluent au fur et à mesure du disque. Tel un deuil, Crumbs commence dans le déni avec I Will Ignore the Apocalypse. Quelques cordes pincées menaçantes, des roulements de batterie martiaux, un chant mélancolique et toujours séduisant, une boucle mélodique aux accents orientaux et un violon dissonant : ce début d'album nous plonge dans un univers effrayant que l'on aimerait dystopique mais qui ne dépeint rien de plus que la réalité actuelle. Avec Coldbloods, on retrouve une rythmique répétitive qui nous rappelle The Old Magic et est, de manière générale, typique de la musique de SIEBEN, lui conférant son aspect hypnotique. C'est élégant, très beau, et suinte d'une colère contenue, une tension qui finit par exploser sur les morceaux les plus énergiques (The Overlord are Back, Crumbs, You Want Some), parfois avec un certain humour (Here is the News). Au-delà de la colère et du dégoût, l'album est aussi une satire d'une société que Howden compare à des "dindes ayant voté en faveur de Thanksgiving". Ironie toujours avec la très belle fin de l'album : est-on toujours dans le déni ou déjà dans l'acceptation sur We Will be Alright ? Il faudrait demander à l'artiste. L'optimisme de cette phrase tranche de manière radicale avec la tristesse absolue qui se dégage du morceau, dont les derniers choeurs continuent de nous hanter lors de la menaçante conclusion de l'album, Can You Hear the Wind Coming : un souffle de vent, annonciateur d'une tempête à venir.
Crumbs est une satire acerbe : jamais SIEBEN n'a été aussi ouvertement critique, amer et politique. La poésie est toujours bien présente, mais le projet a pris le chemin d'un son plus punk, en adéquation avec son incitation au soulèvement. Matt Howden nous guide du bout de son archet avec vigueur, ménageant tout au long de l'album des respirations qui permettent de l'apprécier sans lassitude du début à la fin. C'est encore une bien belle oeuvre à laquelle on a droit ici, moins onirique et fascinante peut-être, mais tout aussi riche et originale.