Suivre les péripéties de Matt Howden et de son projet SIEBEN est un enchantement permanent : le musicien donne de sa personne avec des live en streaming, une habitude mise en place pendant les confinements et qui convient tout particulièrement à sa personnalité chaleureuse et son dispositif minimaliste. Et puis, tous les deux ans, il y a un nouvel album. Nous avions hâte de découvrir quels étaient ces dix "hymnes des temps modernes", même si, connaissant le personnage, on sentait bien qu'on allait en prendre pour notre grade.
Derrière son apparence joviale, derrière sa politesse, derrière l'élégance et la poésie de son art, Howden est un homme qui fulmine. Sa rage et son écœurement, qui ont toujours explosé occasionnellement (souvenez de Rite Against the Right dans Desire Rites en 2007) ou se sont déguisés derrière des apparences mystiques (The Old Magic, 2016) ont depuis pris l'apparence d'une ironie mordante, meilleure réponse trouvée par le musicien à l'absurdité du monde dans lequel il vit. La notion d'hymne moderne n'est d'ailleurs pas neuve chez lui : en 2007, il nous proposait A Modern Hymn for the Religious, trente facétieuses secondes dont les uniques paroles étaient "there is no God". Quinze ans plus tard, la charge semble moins ouvertement politique et plus critique envers les diverses dérives de la société, sans forcément pointer le doigt vers tel ou tel parti (quoi que, si jamais certains sont long à la comprenette, il reste Harvest Festival of Closed Border pour dissiper toute ambiguïté) : le consumérisme, les ultra-riches, le populisme... Et les téléphones portables, dont les batteries qui nous inquiètent tant ont droit à leur hymne !
Sur son précédent album, 2020 Vision, Howden nous présentait son nouveau violon, Kev, au détour d'un dialogue schizophrène avec l'instrument. Dès Obscene Wealth Hymn, le dialogue reprend, toujours aussi réjouissant. SIEBEN utilise l'électronique peut-être un peu plus qu'avant (Populist Hymn, dont l'étrangeté quasi bruitiste retranscrit avec décalage son sujet au raisonnement défaillant, Dernier Hymn et son côté trip-hop fantomatique, 2FA Hymn et sa modernité déglinguée), installe un groove avec le minimum (une bouche, un violon, quelques effets) et la voix de Howden dégage toujours ce mélange de mélancolie et de colère retenue avant que les morceaux ne s'emballent et n'explosent dans sa dernière partie. On connaît les ingrédients, on connaît la recette de ces morceaux confectionnés avec amour, mais ce qui sort du four n'est jamais répétitif ou lassant. Les plaintes de Kev, superbe petit violon, sont à la fois poignantes et hypnotiques, conséquence directe de ces boucles répétées qui se superposent au fur et à mesure. Un hymne est supposé emporter ses auditeurs : SIEBEN opte pour des formules efficaces, des titres courts et effectivement : c'est irrésistible... Et SIEBEN finit aussi par laisser exploser sa colère avec You Fuck Off Hymn, titre parfait pour tout envoyer bouler avec classe et distinction. Kev montre les muscles plus qu'à l'accoutumé et SIEBEN ne s'est jamais autant approché de musiques plus lourdes.
Ten Hymns for Modern Times est une nouvelle explosion de créativité, de fantaisie, de poésie et d'ironie de la part d'un artiste décidément très précieux. Il mélange avec talent lyrisme et humour absurde, critique sociale et enchantement. SIEBEN peut s'apprécier pour ses paroles et son fond, qui dicte parfois la forme (on l'a vu, certains morceaux embrassent leur sujet), mais il est aussi possible de ne pas intellectualiser la chose et juste se laisser simplement bercer par la musique. Ces dix hymnes alternent entre harmonie et dissonance maîtrisée et dégagent à la fois une liberté et une inventivité débridée... En plus, chaque morceau est également proposé dans sa version live. Au génie et à la sympathie, Howden ajoute la générosité.