SIERRA a pris le temps qu'il fallait pour sortir son premier album. Entre l'EP Strange Valley et A Story of Anger se sont écoulées six années, une période qui a permis à l'artiste de sortir d'autres formats courts, de tourner avec Carpenter Brut, de jouer au Roadburn Festival, de collaborer avec HEALTH et de retrouver sa musique aussi bien dans le jeu vidéo Vampire The Masquerade : Bloodhunt que dans une pub Yves Saint-Laurent. Sa musique, entre EBSM et darksynth a donc déjà son lot d'adeptes, attirés par cet univers à la fois sombre et séduisants aux influences cinématographiques et cyberpunk.
Ce qui saute aux oreilles d'emblée avec A Story of Anger, c'est qu'Annelise Morel ne s'est pas contentée de sortir un album pour la forme, comme s'il s'agissait d'une routine automatique. Elle aurait pu simplement y compiler ces précédents morceaux ou y répéter ce qu'elle sait si bien faire que ça aurait suffit à notre bonheur, on en aurait retenu deux ou trois hits pour alimenter nos playlists et basta. Au lieu de se reposer sur ses lauriers, la musicienne semble s'être lancée plusieurs défis pour ce disque, des challenges qu'elle relève tous avec talent, à commencer par les influences 80's et cinéma qui sont bien là mais ne virent pas non plus à un fétichisme prétexte qui cacherait la misère, non, leur traitement est à la fois créatif, moderne et personnel. A Story of Anger se présente à nous comme un cri de colère et on imaginait mal un cri rester muet... visiblement elle aussi : la voix prend alors une nouvelle importance dans sa musique de SIERRA. Si par le passé certains titres contenaient quelques paroles et que Never Right reste dans ce ton froid proche du spoken word, plein de menace contenue, la surprise est plus forte avec Stronger. Un piano hanté, un ton mélancolique nostalgique et des rengaines pop : SIERRA s'aventure avec succès vers de nouveaux horizons, aussi bien musicaux que sur le terrain des émotions.
C'est d'ailleurs une constante sur A Story of Anger. Bien sûr, le cahier des charges est rempli et les amateurs ne seront pas déçus. Des grosses basses qui cognent ? Des ambiances futuristes nocturnes qui sentent bon la pluie qui s'éclate sur le bitume et les néons ? Bien sûr, ce premier album en est généreux. Les featurings avec Corvad et Carpenter Brut tabassent, By Fire, Club 21, l'épique In My Veins ou encore la frénétique Your Shadow débordent d'une tension qui vous fera transpirer à grosses gouttes... Mais on plonge aussi un peu plus loin dans l'âme de la musicienne via des titres plus contemplatifs et aériens (Traum, So Blind...) qui réussissent à associer une efficacité redoutable à une humeur plus introspective. La nouvelle collaboration avec Health en est d'ailleurs une très belle illustration : plutôt que viser la jugulaire et nous refaire un titre à la Hateful, Holding on to Nothing tire le meilleur parti des inflexions shoegaze de Jake Duzsik en les couplant à des beats hypnotiques pour un résultat moins instantanément ravageur mais finalement tout aussi puissant que leur précédent titre composé en commun.
A Story of Anger est une réussite à tous les niveaux : SIERRA y offre ce que l'on attend, certes, mais surtout bien plus. Plutôt que d'ouvrir timidement de nouvelles portes, elle les enfonce avec courage et ambition en nous balançant au visage le quota de basses énervées et d'ambiances cyberpunk mais aussi une dose d'émotion inattendue. Sans répit ni faiblesse, A Story of Anger se paye le luxe de dévoiler ses richesses au fil des écoutes, là où on s'attendait à un plaisir immédiat. De cette collection de nouveaux morceaux, il n'y a rien à jeter, chaque titre est un monstre d'efficacité et de puissance, chacun à sa façon. SIERRA nous aura fait attendre un moment, ça valait le coup : ce premier album a certes mis longtemps à venir, mais ce temps était nécessaire pour lui garantir une belle longévité. On n'a pas fini de le poncer, celui-là.