Laissant encore son auditoire charmé, ensorcelé par An Eagle In Your Mind, dont l'album Intersection incarnait des ramifications dark folk, Sophia Djebel Rose n'a pas pour autant abandonné ses chansons. Revenons si vous le permettez, à la lecture auditive de ce disque prodigieux.
Chaque œuvre est une énigme, et c'est là que tout commence. Sécheresse prend part au mystère du monde en explorant tel un satellite les multi dimensions des sphères musicales en recombinant les signaux captés et les fréquences dont les oreilles sont assaillies.
Après avoir écumé les régions austères où seul le vent vous est favorable, Sophia Djebel Rose nous entraîne dans une odyssée le temps d'un accostage, là où visions et illusions deviennent matière, chair, et s'entremêlent pour former des tableaux incandescents. Par une seule goutte de ténèbres, quand le temps brûle les cadrans, apparait en vision L'Homme au Costume Doré. Dans une imagerie assez semblable à Claude Lombard ou Catherine Ribeiro (notamment Les Amandiers), Sophia nous conte avec une élégance raffinée que distille un folk oriental quelques perles cachées dans un moelleux assemblage de guitares, d'un harmonium créant des drones envoûtants. D'un folk trad et moderne, on ne peux que se rassasier et trouver ce courant dans Pareille au Torrent dont les arpèges tremblantes diffusent des parfums d'automne. Cette voix grave prend son envol, avant d'arpenter les rivages là où les noyés sont enfouis, on entre dans cet univers sacré, où tout semble se désagréger. On pense aux ambiances de Iress, aux tonalités de Anna Von Hausswolff.
Une telle expérience momentanée vous affecte tellement qu'il est très difficile de vivre dans ce monde sans mentionner les légendes, et de les restituer dans notre temporalité. Avec une verve modeste, géorgique et lumineuse, elle est cette tisseuse de voix qui ré-enchante le monde. Blanche Biche en est l'illustration, cette chanson médiévale transmet un message depuis des temps anciens jusqu'au présent. Et l'intensité vocale, harmonisée, renforce cette transformation, cette créature cernée par les dangers de ce monde.
La captation de chaque instrument acoustique obéit à un angle particulier, confié à Raoul Canivet (complice avec qui elle partage actuellement la scène en tournée), le mixage est dans la même trajectoire que Métempsycose, album précédant celui-ci dont la beauté est dans un écrin, où chaque composition est un poème. D'une étoile, Sophia en a fait un rosaire. Elle porte une robe, celle de la nuit, non pas décharnée, mais incarnée par les éléments qui l'entourent. C'est ce grain lumineux, qui éclaire le creux des sentiers, qui nous mène à des lieux que seule Sophia connait.