Tchou-tchou ! Revoilà Tardigrade Inferno, le groupe russe de cabaret metal déjanté qui nous avait tant séduit avec son premier album, Mastermind, paru en 2019 (chronique). Depuis, le groupe nous avait laissé entrevoir quelques belles évolutions au fil de singles plus mélancoliques et sombres qui laissaient plus de place à la part cauchemardesque de leur univers. En attendant plat plus copieux, ils nous servent un EP de quatre titres, Arrival of a Train.
Impossible de ne pas mentionner L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat de Louis Lumière, considéré comme un des premiers films projetés et qui, en 1896, faisait fuir de terreur le public, persuadé qu'une locomotive lui fonçait droit dessus. On espère bien retrouver une sensation similaire à l'écoute, l'impression d'un train inarrêtable lancé à pleine vitesse qui nous plongerait dans un état de frénétique stupeur. Tardigrade Infero sait épater la galerie et le son n'a rien perdu en efficacité : on emprunte aux musiques circassiennes, au metal, à Danny Elfman et compagnie pour nous embarquer à toute berzingue dans un carnaval mutant et jouissif à la bonne humeur contagieuse...
... Ou pas ! Car si l'univers est toujours aussi jouissif, difficile de ne pas remarquer une tendance à noircir l'atmosphère du côté de Tardigrade Inferno. On est même surpris par une approche plus violente et noire, dès le morceau-titre et ses riffs écrasants et où le chant toujours si expressif de Darya Pavlovich se mue occasionnellement en grognements : le son s'est sacrément épaissi . On avait adoré voir le groupe explorer une veine plus mélancolique de titres plus lents avec How Nightmares Die ou dernièrement Misery (avec Manapart), l'ironie horrifique d'Engine of Skin (des chœurs aussi entêtants, on en redemande !) et les couplets suintant d'amertume d'Evoke poursuivent dans cette direction, avec un supplément de pesanteur et de sérieux. On ne peut que constater que les horizons se sont significativement assombris sans pour autant perdre de vue l'irrésistible entrain caractéristique des compos du groupe (Fire, Plague and Locust). Si l'on pense toujours à Diablo Swing Orchestra pour le joyeux bordel foutraque et à Creature Feature pour l'ambiance horrifique festive, Tardigrade Inferno se place à nouveau en digne héritiers des excellents Stolen Babies, qui, dans leurs plus sauvages fulgurances, fricotaient carrément avec le black metal. Bigre ! Nos tardigrades russes en viennent aussi à timidement fricoter avec de telles extrémités (les dernières secondes d'Evoke, par exemple) et on savoure chez eux une forme de poésie qui se manifeste dans l'exubérance, une folie douce aussi rafraîchissante que communicative.
L'écoute d'Arrival of a Train provoque tout d'abord un certain soulagement : ouf, le train est à l'heure et l'auditeur retrouve avec plaisir cet univers séduisant, aux ténèbres festives et au charme immédiat. Pourtant, bien vite, l'ensemble déraille et vire au train fantôme : les sourires de Tardigrade Inferno se font plus inquiétants, l'univers est plus menaçant, le metal plus lourd. Ce train est un train fantôme jubilatoire et débridé, annonciateur de bien belles choses pour le nouvel album du groupe, attendu pour plus tard cette année.