Il y a trois ans, The Devil's Trade nous clouait au sol, voire sous terre, avec The Call of the Iron Peak (chronique), un album sur lequel l'appellation "doom folk" prenait tout son sens tant la mélancolie de Dávid Makó y était écrasante. Depuis, l'artiste hongrois est partout. On le retrouvait notamment sur le dernier album du groupe de black metal Der Weg Einer Freiheit mais aussi aux commandes d'un live exceptionnel en collaboration avec le duo industriel John Cxnnor pour un résultat qui, à renforts de machines, repoussait encore les limites de la lourdeur. C'est cette fois-ci aux commandes de son projet qu'on le retrouve avec un nouvel album dont le titre peut se traduire par "il y a des paysages à l'intérieur".
The Devil's Trade délaisse les artworks figuratifs très soignés pour nous proposer un paysage abstrait, comme perdu dans la brume : c'est déjà froid, humide, triste. Et Makó nous embarque d'entrée pour ses contrées mystérieuses et désolées avec Felkelék Én, oraison funèbre minimaliste immersive. Sa voix est toujours aussi impressionnante, à la fois puissante et chargée d'émotions, à la limite du théâtral mais toujours déchirante. On apprécie tout particulièrement ces moments où il chante dans sa langue d'origine, apportant pour l'auditeur qui ne comprend pas le hongrois une touche de mystère supplémentaire en plus d'une musicalité différente de l'anglais. Tout cela a quelque chose de mystique de l'ordre du rite funéraire.
Vidékek Vannak Idebenn marque un tournant dans la carrière de The Devil's Trade. Makó, jusque là seul aux commandes, avaient peur de se répéter et de tourner en rond et son projet est désormais un duo avec l'arrivée de Gáspár Binder à la batterie (et même un trio en live avec Gábor Tóth aux claviers). Le résultat se fait sentir dès Flashing Through The Lack Of Light : les mélodies sont toujours saisissantes mais l'approche acoustique laisse place à une lourdeur nouvelle, plus proche d'un rock sombre aux tentations doom à la Antimatter (même le chant évoque parfois Mick Moss) ou A.A. Williams. La puissance du spleen s'en retrouve décuplée : aux errances mystiques et aux élégies de Makó s'ajoute une intensité nouvelle. Les souffrances intimes qui jaillissent de la gorge du chanteur, une fois associées aux secousses des percussions, gagnent en impact et, surtout, on évite la répétition avec The Call of the Iron Peak qui brillait justement par sa pesanteur malgré l'absence de batterie.
Ce nouvel album sublime de nouveau les tourments de son auteur, notamment quand il s'acoquine avec la lourdeur du post-metal (Vidékek Vannak Idebenn, Liminal) pour déchaîner des tempêtes jusque là inédites dans le projet ou lorsqu'il joue sur la corde hypnotique de riffs répétitifs pour appuyer l'aspect mystique (Új Hajnal Már Nem Jo). The Devil's Trade ne renie pas ses origines (Clear Like the Wind, All Kings Must Fall) mais évolue avec une grâce unique. Vidékek Vannak Idebenn est une nouvelle collection de peines déchirantes et fascinantes d'une beauté rare en plus de promettre un avenir passionnant pour un artiste qui, comme on s'en doutait avec ses diverses collaborations, refuse la stagnation.