Chronique | The Great Old Ones - Kadath

Tanz Mitth'Laibach 22 janvier 2025

Dans les années vingt, un nouvelliste américain alors peu connu écrivait dans l'ombre des textes fantastiques inspirés en particulier d'Edgar Allan Poe mais aussi quelques œuvres d'une fantasy sombre et inquiétante inspirée de Lord Dunsany période Le Livre des Merveilles, renvoyant à un passé immémorial et à des contrées où l'on ne peut se rendre éveillé. Plus tard, mais surtout après sa mort, cet auteur se ferait bien davantage connaître par des textes fantastiques dans lesquels le surnaturel est incarné par des abominations cosmiques défiant la compréhension humaine. On aurait pourtant tort de négliger ce qu'écrivit Howard Phillips Lovecraft avant cela, et surtout ses textes fantasy rassemblés dans le recueil Les Contrées du rêve. Parmi eux, la novella La Quête onirique de Kadath l'inconnue est restée un chef d'œuvre inégalé par la longue traversée tout à la fois épique, merveilleuse et effrayante qu'elle offre. Alors, lorsque l'on voit le groupe de black metal girondin The Great Old Ones revenir cinq ans après l'album Cosmicism (chronique) pour proposer une adaptation musicale de cette novella sous la forme de l'album Kadath, on a inévitablement envie de dire qu'on en rêvait !

C'est que The Great Old Ones a toujours su nous proposer des pièces de black metal féroces, complexes et dont les mélodies nous entraînent énergiquement vers des abîmes par-delà la raison. Si le groupe s'attaque cette fois-ci à une part très différente de l'œuvre de Lovecraft, la musique reste dans le même esprit : le premier morceau Me, The Dreamer annonce la couleur avec ses guitares rapides et incisives en arrière-plan desquels la batterie frappe furieusement tandis que le chant exprime avant tout avidité et détermination ; plutôt que sur la contemplation des Contrées du Rêve, The Great Old Ones met l'accent sur la volonté obsessionnelle du héros Randolph Carter de trouver la cité de ses rêves, quitte à braver pour cela tous les dangers auxquels s'expose le dormeur qui a descendu les sept cent marches du Sommeil Profond, jusqu'à l'incommensurable Azathoth. Nous voilà embarqués à notre tour dans une quête qui durera sept morceaux aux riffs furieux coupés ici et là de quelques ponts et breaks, tous longs d'au moins sept minutes à l'exception de la transition The Gathering ; le titre du plus étendu d'entre eux fait frémir à lui seul qui a lu la novella, puisqu'il s'intitule Leng...

Le voyage est âpre, mais tous les morceaux nous communiquent la vigueur nécessaire à poursuivre à travers démons et merveilles. Quelques samples sifflants et chœurs accompagnent ici et là les guitares, la batterie et le chant forcené, mais en arrière-plan. On est particulièrement marqués par la violence de Those From Ulthar, qui se concentre en fait sur le péril effroyable duquel les chats d'Ulthar sauvent le narrateur, avec ce riff dont les griffes creusent dans notre cœur, les variations de son tempo qui nous font passer de l'accablement à la panique ; la mélodie dérangeante de In the Mouth of Madness ne manque pas elle aussi de nous surprendre. Néanmoins, le morceau le plus implacable est bien ce terrible (quasi-)instrumental Leng, où les guitares nous introduisent sinueusement au milieu de l'ambiance effroyable créée par la batterie et la basse... On est brisés de terreur, et le calme soudain du pont avec ses quelques paroles en français ne fait que nous y enfoncer avant qu'une charge beaucoup plus lourde que tout ce que l'on a traversé jusque-là ne vienne nous rappeler qu'il faut impérativement fuir ce mystérieux plateau, bientôt accompagnée d'une boucle obsédante. Le rêve finit comme il se doit par l'épique Astral Void, qui correspond dans le texte à l'arrivée au Château d'onyx et à ce qui suit.

Si vous avez opté pour l'édition collector du disque, il vous reste cependant une surprise car la piste bonus longue de tout de même onze minutes et demie nous fait quitter les terres de Lovecraft pour une reprise du morceau Second Rendez-Vous de Jean-Michel Jarre. Au fond, elle ne dépareille pas vraiment avec le thème : le beau morceau électronique du musicien français paraissait déjà un appel venu de par-delà les étoiles, le voilà qui change de forme pour se parer de guitare saturée et de batterie -mais c'est surtout l'ambiance glaciale de l'accélération finale qui donne son intérêt à la reprise par rapport à l'originale.

C'est la première fois que The Great Old Ones laisse s'écouler autant de temps entre deux de ses albums et l'on voit que ces années n'auront pas été vaines : si l'on a aimé chacun de leurs albums et vu une progression entre eux, le groupe semble avoir gagné en épaisseur avec Kadath en plus de s'être approprié avec succès une œuvre que l'on aime énormément. Dans l'intervalle, leurs confrères de Blut Aus Nord se sont eux aussi tourné vers le maître de Providence avec les albums Disharmonium (celui-là et celui-ci), néanmoins leur approche diffère comme le style des deux groupes : Blut Aus Nord est plus psychédélique, développant d'épaisses couches de musique qui nous perdent dans l'infini de l'univers de Lovecraft, là où The Great Old Ones privilégie une approche plus directe et plus épique, centrée sur des mélodies et une agressivité qui nous font voyager en humains résolus auprès de ces terreurs innommables. On sort de Kadath pleins d'énergie pour explorer à notre tour les Contrées du rêve, assez fous peut-être pour vouloir nous aventurer au-delà des Piliers de Basalte de l'Ouest à la recherche de la lointaine Cathurie, et en tout cas avec l'envie de goûter encore au black metal lovecraftien.