Si des artistes japonais, chinois ou sud-coréens ont su trouver leur public en Europe de l'ouest et en Amérique du nord au cours des dernières décennies, l'Asie centrale, elle, restait jusque-là à l'écart. On aurait dû se méfier : le propre des Huns, des Avars, des Hongrois et des Mongols a toujours été de surgir au moment où on les attendait le moins, l'Eurasie se retrouvant brusquement submergée de cavaliers légers montés sur des chevaux petits et trapus ! C'est ainsi que le groupe mongol THE HU a brusquement débarqué il y a un an avec un clip dans sa langue natale mettant en scène les magnifiques paysages de son pays, exhortant les Mongols modernes à ne pas oublier leur passé ; ce fut un carton, le clip perçant non seulement chez lui mais aussi auprès d'un public occidental subjugué. Un second suivit avec le même succès, sorte d'hymne guerrier où les motards semblent avoir remplacé les traditionnels archers de cavalerie, s'affichant avec un emblème aux poils de yak utilisé par Gengis Khan. Puis une vidéo accompagnée des paroles, Shoog Shoog. Puis un troisième clip, The Great Chinggis Khaan, hommage à Vous-Savez-Qui avec une graphie légèrement différente de celle à laquelle nous sommes habitués en France. La stratégie de communication était savamment maîtrisée pour nous rendre de plus en plus impatients d'avoir le premier album, dont nous avions déjà entendu presque la moitié ! Et le voici donc, The Gereg, du nom d'un passeport employé sous l'Empire mongol -le groupe ne cache pas sa volonté de se faire l'ambassadeur de son pays dans le monde ! Alors, à quoi ressemble-t-il, ce disque tant attendu ?
Ce qu'il y a de plus évident à propos de THE HU, c'est sa capacité à mêler les musiques avec un naturel déconcertant : on reconnaît en effet les riffs incisifs et la construction des morceaux du rock et du heavy-metal d'Europe de l'ouest et d'Amérique du nord, mais ils sont complètement transformés par le recours au morin khuur et au tovshuur, instruments à cordes mongols, ou encore à la flûte tsuur, sublimés par le chant khöömi, variété de chant de gorge diphonique qui était traditionnellement utilisé pour les cérémonies chamaniques. THE HU réussit ainsi à faire ce que bon nombre de groupes de folk metal ou de metal symphonique ont échoué à réaliser : une synthèse entre des univers sonores différents dont il sort une musique nouvelle et cohérente plutôt qu'une simple superposition ; c'est bien du rock, mais avec des sonorités entièrement nouvelles. Au risque de poursuivre dans le cliché, on peut penser à la façon dont les armées mongoles intégraient des armes de siège chinoises et arabes ! On se retrouve bien embêtés pour savoir comment qualifier cela, mais le groupe le fait pour nous, se revendiquant comme étant du "hunnu rock", son propre nom venant du mot mongol "hunnu" qui désigne simplement une personne. Ajoutez à cela que, bien que la formation asiatique ne rechigne pas à utiliser l'anglais dans ses titres, toutes les chansons sont en mongol, langue altaïque qui, comme le turc de SHE PAST AWAY, sonne très étrangement à nos oreilles, et vous mesurerez l'exotisme de ce disque !
Cependant, The Gereg ne se contente pas d'être radicalement original : il est aussi incroyablement efficace et addictif. Le chant diphonique et les chœurs masculins nous plongent dans une ambiance hypnotique, les sonorités graves des cordes du tovshuur joué frénétiquement nous maintiennent en tension comme le ferait une basse tandis que les sonorités plus aigües du morin khuur jouent le rôle de la guitare dans les riffs ; tout cela est merveilleusement entêtant. THE HU en tire les grands hymnes offensifs que sont The Gereg, les hits imparables Wolf Totem et Yuve Yuve Yu, Shoog Shoog : ces quatre morceaux cognent aussi bien que le ferait n'importe lequel de nos groupes de heavy metal, l'aspect hypnotique de la musique et sa répétitivité martiale en plus. On trouve néanmoins des morceaux beaucoup plus calmes : The Legend of Mother Swan, Shireg Shireg et The Song of Women sont plutôt des ballades à fredonner en chœur au coin du feu entre deux journées à traverser les steppes ; The Legend of Mother Swan est particulièrement belle, douce et rythmée à la fois. Shireg Shireg et surtout la formidable The Great Chinggis Khaan, enfin, sont des semi-ballades fondées sur un long crescendo qui nous remplit d'enthousiasme et d'admiration.
Toute résistance est inutile : on sort inévitablement de cet album exalté, avec une envie fantastique de monter sur un cheval et de partir pour l'Asie centrale élever un troupeau dans les steppes en attendant de rassembler les tribus pour conquérir la Chine, la Perse et l'Europe de l'est. Il faut dire que le groupe joue à dessein sur les stéréotypes associés à son pays, de la même façon et sans doute avec les mêmes fantasmes que les groupes de metal scandinaves jouent avec l'imaginaire des invasions normandes ! Le chanteur principal Gala, de son vrai nom Galbadrakh, n'a pas caché en interview sa volonté de susciter l'intérêt du public international pour l'histoire de son pays.
À ce stade, le succès de THE HU ne fait plus aucun doute : non seulement ses clips l'ont fait connaître mais le label Eleven Seven Music lui a assuré une large diffusion après qu'il ait été d'abord porté par le producteur Dashka, de son vrai nom Dashdondog, qui sert toujours de directeur artistique au groupe. Sans doute le label international a-t-il senti le potentiel commercial de la formation, qui est suffisamment exotique pour être originale tout en faisant appel à un imaginaire célèbre en occident, celui des invasions asiatiques ; tant mieux pour le groupe, c'est largement mérité, on espère seulement qu'il ne s'enfermera pas dans une formule comme le font trop souvent les artistes qui rencontrent le succès dès le début. Et peut-être n'est-ce que le début d'une future déferlante artistique d'Asie centrale : Gala a ainsi déclaré que si THE HU était le premier groupe à jouer du hunnu rock, il espérait que ce ne serait pas le dernier, et nous aussi. Mais nous verrons bien : il est temps d'aller seller les chevaux !