Il y a deux ans, le duo TRAÎTRE CALIN sortait un premier album jubilatoire, plein de blasphèmes et de vociférations d'ivrognes possédés, mêlant rap halluciné et indus / noise. Cette première œuvre passionnante, radicale et complètement barge ne pouvait rester sans suite. Mais où est-ce qu'on va quand on a dépassé toutes les frontières, qu'on est sortis de tous les sentiers ? Comment éviter une redite à l'impact forcément moindre ? De la Ruine, nous dit le groupe, c’est des pamphlets d’angoisse gueulés au soleil, la douleur de la réussite, l’enivrante chute, les dents qui grincent face au néant, c’est l’échec d’une victoire trop amer pour être goutée, les délires éthyliques de ceux que l’absolu fatigue...
Au premier regard, on reconnaît sans peine l'univers des deux loustics, entre la prose fleurie qui nous dégueule à la tronche des mots de plus de trois syllabes et des symboles religieux, et les visuels faits de collages surréalistes quasi dada mais également cauchemardesques. Un rire dément nous accueille sur Reliquats d'Icare qui, déjà, suinte à la fois désespoir frénétique et folie furieuse : ça ne va pas mieux pour TRAÎTRE CÂLIN, tant mieux ! Le flow est enragé et mordant et rapidement l'évolution est évidente : c'est encore plus méchant qu'avant. Le son a gagné en épaisseur et en lourdeur, les influences industrielles et metal se font sentir dès le début des titres, alors que la diction flirte régulièrement avec le growl. De la Ruine est un album plus sauvage, plus violent : notre petit cerveau de primate est toujours stimulé par des textes riches et percutants, mais TRAÎTRE CÂLIN s'adresse aussi à nos tripes. On peut headbanger parmi ces ruines.
Ce parfum d'apocalypse oscille entre l'horreur grotesque (Demande à la Poussière, creepy et très rigolote), les expérimentations affranchies (les cuivres free jazz d'Autodafé) et cette odeur permanente de charogne pourrissante malsaine et collante (dans Rêve à Patmos, une voix malade récite : "des mouches mortes dans l'urinoir, des idées noires qui coagulent comme la semence sur les cafards"), sans ne jamais perdre de vue à la fois l'impact des rythmiques et l'efficacité des morceaux qu'on espère voir un jour joués en live mais aussi leur parfum de mystère faits de références hétéroclites, entre le biblique et le profane (ils récitent les décimales du nombre d'or sur A la fin du 0).
Monstre patchwork, amoncellement à la fois répugnant et fascinant et parfum mystique de culte déviant et secret : TRAÎTRE CALIN est bien une Chapelle de Diogène, une bête difforme insaisissable mais tellement, tellement fun. Cette crasse, ces excès, cette violence sublimée dans des morceaux plus frontaux et ces délires hallucinés sont profondément jouissifs. De la Ruine est un album méchant, malin, puant et vicieux totalement perché. Nos félicitations aux parents, ce bébé est une vraie saloperie dégueulasse et immonde, traumatisante comme on les aime.