Si NINE INCH NAILS est Trent Reznor, l'inverse n'est pas forcément vraie, surtout depuis que le monsieur s'est mis à composer des musiques de films avec son fidèle binôme Atticus Ross. Oscarisé pour son travail avec David Fincher, Reznor a depuis élargi son spectre, travaillant aussi bien sur des documentaires que sur le prochain film Pixar, Soul. Avec Watchmen, il s'attaque non seulement à une série (une première pour Reznor, pas pour Ross) mais également aux super-héros.
La bande-son de la série Watchmen est prévue en trois volumes. Si on imagine que le rythme de diffusion de la série est peut-être lié à cette parution éclatée, Reznor explique aussi que sortir un disque de plusieurs heures de musique est le meilleur moyen pour qu'une grande partie de l'ensemble soit ignoré par le public. Voici donc Watchmen : Volume I, premier tier d'une bande originale sur laquelle le duo s'est amusé.
Il est bien question de fun, ici. Trent Reznor et Atticus Ross n'ont pas la réputation d'être les types les plus rigolos du monde et les nappes mélancoliques minimalistes qui caractérisent jusqu'à présent bon nombre de leurs travaux ne sont pas forcément les choses les plus faciles d'accès que l'on puisse trouver. En s'attaquant à une série d'action se déroulant dans un univers dystopique avec des gens costumés, de mystérieux clones et un dieu nudiste qui vit sur Mars, ils ont pourtant lâché la bride.
On les voit bien, là, dès HOW THE WEST WAS REALLY WON, entrée en matière anxiogène, se dire "bon, allez, viens, on se la joue John Carpenter" avec ce synthé cristallin menaçant. Les deux hommes ont bien repris avec brio le mythique theme d'Halloween de Big John, alors pourquoi pas ? Pourtant, leur identité suinte également de chaque note : c'est flagrant avec ce piano sur ORPHANS OF KRYPTON.
Les choses décollent réellement avec NUN WITH A MOTHERF*&*ING GUN. Le rythme s'affole, les basses résonnent, les guitares se mettent en oeuvre. Il y a un peu d'EBM là-dedans, un peu d'indus aussi. Il aurait été dommage de ne pas se lâcher : l'occasion de sortir un gros morceau bien badass au titre débile était trop belle. Les cordes de sa deuxième partie rugissent si fort le NINE INCH NAILS période The Fragile qu'on ne peut résister. Les deux nous refont le coup à plusieurs reprises (KATTLE BATTLE, NEVER SURRENDER) mais savent aussi kidnapper notre attention et instaurer une vraie tension (I'LL WAIT et ses pulsations nerveuses, OWL HUNTS RAT et ses cuivres déglingués... Reznor a bien fait de se remettre récemment au saxo) sans pour autant délaisser leurs aspirations plus contemplatives et minimalistes (ABSENT FRIENDS AND OLD GHOSTS)
L'ambiance générale de cette bande-son est parfaite. Futuriste, inquiétante, électronique et industrielle : la pâte de l'illustre "groupe" de Reznor est omniprésente et le duo s'amuse à rouler des mécaniques de manière totalement décomplexée. Des transitions narratives issues directement de la série finissent de donner corps à l'ensemble et son univers musical tout en assumant toujours plus un certain décalage (AMERICAN PROMO STORY qui renvoie à la parodie à peine déguisée dans la série du film de Zack Snyder, ou encore MÜLLER TIME et son côté pompier kitch achevé par un sample burné bien cliché).
Quel plaisir de retrouver ici Reznor et Ross qui s'amusent. On les connaissait portés sur l'expérimentation ou l'ambiance et aucun des deux n'avait besoin de prouver son savoir-faire. Cependant, avec Watchmen, ils ont eu le matériau en or pour faire renaître en nous certaines flammes : sans verser dans le ridicule, la chose se prêtait à un ensemble catchy, fun, pessimiste, méchant, parfois mélancolique, parfois bas du front. Au final, cette bande-son, bien qu'elle n'en porte pas le nom, est peut-être le meilleur album de NINE INCH NAILS depuis un bon bout de temps. Vivement les deux prochains volumes !