Chronique | Tribulation - Sub Rosa in Æternum

Pierre Sopor 30 octobre 2024

Les tribulations se définissent par une "suite d'aventures plus ou moins désagréables, de revers, d'obstacles surmontés" : sans aucun doute, le départ du guitariste Jonathan Hultén, si important pour l'esthétique du groupe, fut un sacré obstacle à surmonter pour les Suédois. Pourtant, alors qu'une certaine stagnation semblait les guetter à l'époque de Where the Gloom Becomes Sound, ils tiennent aussi là l'occasion idéale pour se réinventer, faire leur deuil de ce départ et aller de l'avant. Sub Rosa In Æternum apparaît alors comme un renouveau pour Tribulation, certes, tout en s'inscrivant finalement dans une continuité logique, une mue enfin achevée.

L'agressivité mordante du death metal des tout débuts, déjà sublimé de touches baroques, avait fini par muter vers un metal gothique et psychédélique plus lent et lourd et c'est dans l'EP Hamartia paru au printemps 2023 que le groupe rassurait sur sa capacité à maintenir son univers vivant. On y notait toutefois une vraie remise en question, notamment le temps d'une reprise de Blue Oyster Cult qui laissait Johannes Andersson se lancer dans un chant clair inédit, lui d'ordinaire plutôt monolithique dans ses growls.

Sans aucun doute, Sub Rosa In Æternum, malgré son atmosphère souvent funèbre, a des airs de renaissance. The Unrelenting Choir impose son mystère, sa pesanteur gothique... et Andersson, encore en voix claire, sépulcrale et pleine d'échos fantomatiques, séduit et surprend. Théâtral, sinistre et plus goth que jamais, Tribulation a le sens du mystique et sait faire monter la mention. On a presque l'impression de les voir grandir sous nos yeux en temps réel alors que Tainted Skies, avec ses ombres post-punk flagrantes, et Saturn Coming Down Tonight gardent encore quelques traces d'un chant saturé que l'on n'entendra ensuite plus que le temps Time & The Vivid Ore et sa parenthèse instrumentale aussi anachronique que pleine de suspense. Plus important, on est emportés par un groove fatal, c'est à la fois accrocheur et romantique.

Tribulation va probablement diviser. On ne pourra plus reprocher à son chanteur le manque de variation dans son chant, lui qui nous rappelle désormais pèle-mêle les Sisters of Mercy, Fields of the Nephilim (sur Drink the Love of God, c'est flagrant) ou Moonspell dans ce registre grave, chaud, caverneux et plein d'emphase même on peut aussi parfois se dire que quelques grognements supplémentaires apporteraient plus de relief. Le guitariste Joseph Toll, remplaçant de Hultén, a insufflé une réelle nouvelle vigueur aux Suédois qui enchaînent des hymnes au parfum de caveau. Le rythme ralentit, la brume s'épaissit et la mélancolie s'incruste au détour des chœurs et des claviers de Hungry Waters. Tribulation a manifestement étudié la cold wave et le rock gothique des années 80 et son fétichisme 70's psychédélique est toujours fermement ancré comme l'illustre Murder in Red, point d'orgue de l'album avec son synthé à la John Carpenter en intro, sa poésie noire et ses envolées progressives à la Goblin.

C'est d'ailleurs dans ce goût pour le solo daté de quelques décennies (s'incrustant par exemple dans The Reaping Song qui, sans ça, avait des airs de Nick Cave au-delà de son titre clin d’œil) ou pour l'ornement baroque halluciné que Tribulation continue d'exprimer sa singularité et évite d'aller se vautrer dans un revival cold-wave / gothic rock plein de groupes interchangeables. Aucun titre ne se contente simplement de sa présence et tous bénéficient d'une recherche sonore, d'une élaboration dans les guitares qui minutieusement tissent leurs visions macabres. Avec Sub Rosa In Æternum, on ne sait pas trop si Tribulation enterre son passé ou renaît de ses cendres. Probablement les deux : voici l'album gothic rock surprise de l'automne, et surtout notre intérêt pour l'avenir du groupe subitement décuplé.