Varsovie accélère le rythme. On se l'est dit une première fois en repensant à L'Ombre et la Nuit, vieux de seulement deux ans alors que ce Pression à Froid arrive déjà hanter nos nuits d'automne. On se le redira à l'écoute : le duo formé par Arnault Destal et Grégory Cathérina ne nous a certes pas habitués aux fioritures ornementales et leur cinquième album ne fait toujours pas dans la frime, l'outrance ou la démonstration pompeuse...
Plus froid, plus incisif encore, Varsovie ne perd pas de temps et impose d'emblée la nervosité de Perspective Nevski. Le chant, sobre et presque austère, agit comme une bassine d'eau glacée, calmant les ardeurs d'une section rythmique plus que jamais centrale chez le duo post-punk. Martelé par cette poésie brute, l'auditeur se sent comme désolé, affligé d'appartenir à cette humanité si médiocre dont les bassesses nourrissent la rage du groupe. Les touches d'abstraction poétiques de la mélancolique Synesthésie apportent un peu de répit à ce brulot glacial, dont l'unité n'est pas synonyme de répétition. Varsovie semble s'être recentré sur l'essentiel avec Pression à Froid, sur cette rancœur qui ne demande qu'à jaillir mais que le duo contient avec dignité. La colère est frigorifique, le dédain cinglant. La batterie, hypnotique, nous fouette le sang (Structure est ce qui s'approche le plus d'un titre entraînant) et maintient cette tension, cette intensité qui jamais ne s'efface.
Malgré ce son très concret, solide, plus évocateur de blocs de béton que de rêveries, Varsovie laisse néanmoins la place à quelques spectres souvent incarnés par la guitare, en retrait, qui trouve dans sa dissonante discrétion une efficacité dépouillée. Les échos gothiques d'Artefacts ou Une Force Dehors continueront ainsi de nous hanter. Dans ses derniers instants, avec The Ghost of Kyiv, le chant de Grégory Cathérina s'efface pour laisser à une réfugiée ukrainienne le soin de conclure l'album et de nous laisser en présence de fantômes d'un autre genre. Il y a cette réfugiée, mais il y avait aussi plus tôt Jan Palach, devenu une icône de la résistance Tchèque lors de l'invasion de son pays par le Pacte de Varsovie après d'être auto-immolé en 1969, et qui inspirait le titre Pochodeň číslo Jedna. Et si finalement Varsovie, qui ne laisse même plus aux humains le privilège d'apparaître sur la pochette comme précédemment, accordait néanmoins sa grâce aux victimes de nos lâchetés, broyées par un monde absurde ?
De grâce, Pression à Froid n'en manque pas. Plus minimaliste que sur ces deux derniers albums, Varsovie synthétise ses idées avec précision et élégance. Le désespoir et la rage s'exprime dans l'urgence, impitoyables de justesse et sans une once de surjeu. C'est finalement dans l'épure la plus sévère que réside l'âme du duo qui livre avec son cinquième album une œuvre aussi fascinante qu'authentique, d'une beauté sèche, âpre, mais non moins saisissante.