Cela fait une petite trentaine d'années que WAITING FOR WORDS existe. Egocracy est le huitième album du groupe dont la musique a toujours allié une froideur électronique à des influences pop et rock qui lui confère une âme bien humaine (les influences de DEPECHE MODE ou OMD y sont criantes). Le titre de l'album, lui, ne laisse que peu de mystère : le ton s'annonce amer. Pour peu que vous laissiez traîner votre oreille à proximité de ZeN, chanteur de WAITING FOR WORDS, vous constaterez que le bonhomme a des comptes à régler avec pas mal de saloperies qui pourrissent notre monde.
Ce n'est pourtant pas dans la rancœur ouverte que démarre Egocracy mais avec Think, piste instrumentale aux accents industriels qui respire grâce à un clavier en fin de morceau, amenant la transition avec les nappes anxiogènes qui ouvrent Until the End of Time. Le ton est à la mélancolie contemplative. La musique, elle, est à cheval entre sonorités futuristes et une rythmique plus retro, un grand écart temporel fréquent chez WAITING FOR WORDS. C'est avec The Great New World qu'on entre dans le vif du sujet et que l'on saisit à quoi Egocracy fait référence (bon, on avait déjà une petite idée) : ZeN nous scande des choses réjouissantes comme "tag, click, like, hashtag, don't think, don't check" avant d'asséner un ironique "such a great new world" en refrain. Le culte des apparences et les faux-semblants d'un monde esclave des réseaux sociaux sert de toile de fond à ce single cinglant, glacial et accrocheur.
WAITING FOR WORDS, un projet de vieux grincheux ? Oui, bien sûr. Forcément un peu. Quand on a quelque chose à dire dans sa musique, il y a de quoi fulminer face à l'inanité d'une société centrée sur son nombre d'approbations virtuelles. Mais il y a aussi de la joie et de la vie dans Egocracy et la reprise de Curse Curse de JAMES vient apporter un peu de légèreté à ce début d'album. Dans le genre hit taillé pour le dancefloor, ça fonctionne très bien. Les amateurs d'ombres que nous sommes se sentent néanmoins plus à l'aise lovés dans les ténèbres de Cause I Do Believe. Vingt-cinq ans séparent cette nouvelle version du morceau d'origine, présent sur le premier album du groupe, Tranquility (1993). Le dépoussiérage est surprenant, cette nouvelle version plus dansante sonne moins gothique, certes, mais l'émotion est toujours là. La voix de Soe V, posée et élégante, vient apporter un nouveau souffle sur Egocracy, piste minimaliste et hypnotique. En plus de sa voix, l'usage du français permet d'insuffler un supplément de variété bienvenu à mi-album. WAITING FOR WORDS soigne ses ambiances, et des morceaux comme Then You Are Gone ou Believe In Me permettent d'aérer le disque et de faire chuter la tension en s'intercalant entre des compositions plus nerveuses, comme Away. Le moment de grâce de l'album arrive cependant à sa toute fin avec Lament, conclusion douce-amère en suspension qui nous permet d'apprécier une dernière fois le talent de WAITING FOR WORDS pour installer des atmosphères mélancoliques et introspectives.
Egocracy est un album généreux : non seulement le groupe y offre un aperçu varié de son travail, entre hits pop, moments plus tranchants et passages plus ambiants mais il le fait avec âme et personnalité. De manière plus terre à terre, il faut bien admettre que l'objet proposé est massif : avec deux disques bonus composés de reprises (notamment une reprise du Requiem Pour un Con de Gainsbourg absolument savoureuse et très rock'n'roll dans l'esprit), remixes et ré-enregistrements, l'album dans sa totalité est conséquent. Si après trente ans de carrière, WAITING FOR WORDS peut donner l'impression de jeter un regard en arrière sur sa carrière et d'en faire le bilan avec Egocracy, le trio continue également de garder un œil vers un avenir dont on attend des nouvelles.