Chronique | Zetra - Zetra

Pierre Sopor 12 septembre 2024

L'OVNI Zetra est apparu soudainement sur nos radars à partir de 2021 et, après quelques titres et EPs auto-produits sortis sur cassette, s'est fait repérer par Nuclear Blast pour un premier album éponyme. Le duo britannique cultive le mystère jusqu'à une biographie officielle qui précise avec emphase "on les appelle les Vagabonds, la dague et le bâton, la voix et le synthé, la Belle et la Bête" avant d'ajouter "les mauvaises choses arrivent, et elles arrivent pour une raison". Notre intérêt est piqué.

Aborder Zetra est un saut dans l'inconnu, une plongée vers de mystérieuses ténèbres et une surprise initiale, celle de découvrir ce son assez inclassable. Un chant haut perché mélancolique et contemplatif, des éclaircies pop, des guitares plus lourdes et menaçantes qui viennent ponctuellement noircir le tableau, des nappes de synthés en apesanteur : Zetra mélange shoegaze, metal gothique et pop sombre. Imaginez une rencontre entre Pet Shop Boys, Alcest et HEALTH.

L’obscurité de ce premier album éponyme est chatoyante. Tout est affaire d'illusions, de faux semblants, de tromperie. Il suffit de comparer l'apparente douceur du premier morceau à son titre, Suffer Eternally, pour se faire une idée. Dans ses postures surjouées ultra-dark et mystiques et son sens du contrepied, Zetra dégage ce second degré bien propre au mouvement gothique, à la fois extrêmement sérieux mais non dénué d'une certaine ironie et d'auto-dérision. On est aussi surpris par l'ampleur du son malgré un dispositif minimaliste (guitare / synthé / boite à rythme) : Zetra donne de l'emphase à sa musique.

D'une errance pleine d'un spleen assez uniforme émergent des secousses régulières qui dynamisent l'ensemble : les riffs mordants de Sacrifice, l'épaisseur des cris de Serena Cherry (Svalbard) sur Starfall, la voix de Sólveig Matthildur (Kælan Mikla) sur Shatter the Mountain, la mélodie sépulcrale du piano d'Inseparable dont la pesanteur funèbre est si délectable... Zetra nous plonge dans un brouillard halluciné constant, on n'en savoure que mieux les variations proposées, les passages plus telluriques, les élans plus agressifs qui viennent fracasser une surface sereine qui ne fait que dissimuler les tourments qui font rage sous elle.

Avec un premier album tout en nuances et trompe-l’œil, Zetra s'amuse à désorienter son auditeur pour mieux le torturer. L'ensemble manque peut-être encore ici ou là d'idées différentes pour aérer la contemplation douce-amère et l'empêcher de virer à la monotonie grisâtre mais la proposition est aussi atypique que solide. Malin, le duo sait rendre ses méfaits accessibles pour mieux nous empoisonner de son venin. On voit d'ici quelques piques se lever à leur approche pour mieux se baisser plus tard, le temps de se dérider et de laisser tomber ses postures préhistoriques. Il y a là le potentiel pour imposer des moues boudeuses dans toutes les scènes !